Françoise Grenot Wang

Françoise Grenot Wang est décédée mardi 9 décembre 2008 dans l’incendie de sa maison de Danian en Chine.

Nous vous transmettons la nouvelle de ce terrible drame sans vous en préciser les circonstances, car nous ne les connaissons pas encore à l’heure où nous écrivons.

Nous utiliserons le site de l’association, http://www.couleursdechine.org pour partager avec vous les informations qui nous parviendront.

Il faut dès à présent que nous nous employions à assurer la continuité de Couleurs de Chine et à préserver l’action engagée par Françoise. C’est ce qu’elle aurait désiré plus que tout, nous en sommes tous convaincus.

http://www.couleursdechine.org/hommage-a-Francoise-Grenot-Wang

Vidéo à regarder ou à télécharger : http://www.aujourdhuilachine.com/actualites-chine-hommage-a-francoise-grenot-wang-9923.asp?1=1


Hommage rendu dans le bulletin Orients (février 2009) :

Françoise Grenot-Wang

17 décembre 1949 – 9 décembre 2008

Le 9 décembre 2008, à la veille de son retour annuel en France pour l'habituelle assemblée générale de Couleurs de Chine, l'association qu'elle avait fondée, un incendie qui a ravagé la maison de bois où vivait Françoise Grenot-Wang à Danian, en pays Miao, au Sud de la Chine, a coûté la vie à cette femme exceptionnelle.

Plusieurs d'entre nous, anciens élèves de chinois, ayant estimé que la tâche cruelle d'évoquer son souvenir devait m'incomber, c'est avec une très profonde tristesse que je m'en acquitte ici. Je suis en effet une des rares à pouvoir témoigner que la passion de « Fanfan » pour la Chine, avant qu'elle ne se lance totalement dans ce combat pour la sauvegarde de la culture Miao et la scolarisation des filles, remonte à notre adolescence.

Chez les Miao, on l'appelait Fangfang, mais pour nous, ses amis d'enfance et de l'Inalco, comme pour sa famille, c'était Fanfan. La belle Fanfan, disions-nous, car si je l'ai connue quand elle n'avait pas quatre ans, à treize ans, elle était éblouissante de grâce. Aussitôt après son bac, elle était venue me rejoindre aux Langues O’ en chinois.

En mai 68, nous montions la garde rue de Lille et nombre d'entre nous garderons le souvenir de Fanfan à cette époque, assise aux pieds de la statue de Sylvestre de Sacy, avec son serpent sur l'épaule - une bien inoffensive couleuvre. Poursuivant ses études de chinois, et vivant avec Patrick Donati, dont elle a eu deux filles, Nadia puis Chloé, Fanfan accompagnait des groupes de touristes en Chine, ce qui lui en a donné une vaste connaissance pratique, mais elle a aussi collaboré à des guides (notamment le Guide bleu Chine du Sud Ouest). Elle a travaillé à Pékin, puis a été recrutée par Médecins sans Frontières dans le Sud de la Chine. Séparée depuis assez longtemps du père de ses filles, elle s'était mariée en 1989 avec Wang Yang, avec qui elle vécut à Paris puis en Chine. Cette union ne résista pas à leur installation à Guilin. Ses filles étant autonomes, Fanfan décida de se consacrer au projet qui lui tenait à cœur. Couleurs de Chine naquit en 1990, avec comme objectif initial de développer en France la connaissance des ethnies de Chine du Sud, qui évolua, à partir de 1998 en se concentrant sur le pays Miao et la scolarisation, d'abord des filles puis progressivement de tous les enfants.  À l'heure actuelle,  environ 2 500 enfants sont scolarisés et parrainés. Toute la région de Danian a bénéficié de l'inlassable activité de Françoise Grenot-Wang qui accueillait aussi de nombreux touristes, souvent parrains  d'enfants Miao, pour leur faire partager son « coup de cœur » pour cette région.

Il faut se rendre compte de  la  prouesse  qu'atteindre Danian représente, et du défi que cela supposait de vouloir y vivre.  Mon amie Maity a décrit en mars 2008 l'enchantement qui l'attendait au bout de ce périple :

« Je suis allée dans les montagnes des minorités Miao chez ton amie Françoise Grenot-Wang. Je suis arrivée à Guilin  et de là, une voiture pour 7 heures de route. C'est le bout de la route et il faut emprunter un petit chemin le long de la rivière... et finalement, bien cachée, il y a une maison de bois de construction traditionnelle et c'est là !

Il a fait très froid cet hiver en Chine du Sud, les fêtes du nouvel an ont été carrément perturbées, et il y avait donc des hôtels vides, des avions vides et des aéroports déserts. C'était l'idéal pour moi : peu de monde (même en Chine) et un bon froid ravigotant. Avec une amie de France qui m'a rejointe à Guilin nous avons passé 11 jours dans sa maison et nous nous sommes baladées de villages en fêtes pour voir et écouter. J'avoue que j'ai été émerveillée par le son des lushengs (je pense que tu sais ce que c'est) et j'ai quelquefois encore l'impression d'en entendre dans ma tête. Je n'arrivais pas à me lasser de ces étranges sonorités et je restais plantée là à les écouter... Mon amie m'avait amené le livre de Françoise qui venait de sortir et je l'ai lu dans sa maison. C'est beau de lire l'histoire de la construction de la maison quand on dort dedans... » 

Dans le prologue de ce second ouvrage, sorti l'an dernier, Fanfan expliquait ainsi son arrivée dans la région :

« C'est une série de hasards qui m'ont amenée à vivre dans la grande Montagne Miao. Cette région de Chine du Sud est peuplée exclusivement par des minorités ethniques vivant pour la plupart dans une grande pauvreté. On dirait qu'une force mystérieuse m'a poussée dans cette direction. Dès la première fois que j'ai parcouru la route menant à Danian, j'ai eu une impression troublante d'appartenance à ce lieu, comme si j'y avais déjà vécu ; comme si j'avais été Miao dans une autre vie.»

Fanfan avait vraiment fait sienne cette expression chinoise que l'on nous serinait pendant nos études bu pa kunnan, bu pa ku (ne craindre ni les difficultés ni les revers) et son combat a été mené sur tous les fronts : lutte contre les autorités centrales chinoises tatillonnes et pusillanimes quant à son désir de promouvoir une minorité et de s'installer dans la grande montagne Miao - elle fut la première Française à le faire -, efforts constants pour faire connaître son association et augmenter le nombre de parrains et de marraines, ouvrir le champ de son activité humanitaire : de la scolarisation des filles, on passa aux garçons, et des primaires, on agrandit au secondaire, voire à l'université pour les plus brillants de « ses enfants Miao ».

En 2005, malgré ses innombrables occupations, elle réussit à mener à bien l'écriture de son premier livre : Chine du Sud la Mosaïque des Minorités, publié aux Indes Savantes et qui connaît toujours un grand succès.  Pierre Trolliet, qui fut notre professeur de géographie de la Chine – de joiegraphie, disions-nous – en rédigea alors la préface. Encouragée par ce premier succès, elle écrivit un second livre plus personnel, dont elle avait eu très tôt le projet ; Jacques Pimpaneau, notre professeur de langue et de  littérature chinoises, en fit alors la préface, et  décrivait parfaitement son engagement :

« Françoise Grenot-Wang n'est ni ethnologue ni historienne et ne prétend pas l'être. Mais son souci de mieux connaître la culture des Miao par des lectures, par ses contacts privilégiés et prolongés avec cette ethnie, fait que son ouvrage… n'est pas seulement le récit d'une action humanitaire qui mérite de servir d'exemple ; il permet de mieux comprendre les Miao, leur histoire douloureuse, leur situation actuelle dans une Chine dominée par les Han, leurs coutumes et, ce qu'on trouve si rarement dans des ouvrages dits scientifiques, leurs qualités humaines, car il fallait être une personne à la hauteur de Françoise Grenot-Wang pour y être sensible.»

Je la revois chez moi en Bretagne, il y a quelques mois, si contente d'avoir pu profiter de quelques jours avec sa fille Chloé, tout en  m'étourdissant avec le programme de ses conférences à à travers la France entière, avant de retrouver son pays Miao. La semaine dernière, un message d'elle m'annonçait qu'elle allait être décorée de l’Ordre National du Mérite, à l'issue de la prochaine assemblée générale de Couleurs de Chine en janvier 2009, par Guillemette Andreu, l'amie de toujours, chez qui nous nous étions rencontrées.

Fanfan aurait eu 59 ans le 17 décembre. Elle ne vieillira jamais. La maison en bois qu'elle avait si fièrement fait construire il y a quelques années et où elle accueillit tant de gens aura été sa dernière demeure.

À l'heure où j'écris ces lignes, me dit-on, de longues files de Miao  traversent la montagne pour lui rendre un dernier hommage. Celle qui rapportait si bien leurs légendes va en devenir une à son tour, dans la grande montagne Miao.

Sylvie Servan-Schreiber
Ancienne élève de chinois 1967 - 1969