In memoriam : Michel Aufray


HOMMAGE DE GILLES DELOUCHE

Michel Aufray, Professeur de langues océaniennes à l’Institut national des langues et civilisations orientales, nous a quittés le 22 août 2007 dans un stupide accident d’automobile alors que, plus que jamais, il préparait des projets, tant pour sa vie personnelle que pour ses enseignements et ses recherches. Comme nous nous connaissions depuis plus de trente-cinq ans, lui et moi, et que je pense pouvoir dire qu’il était en France mon meilleur ami, je suis heureux de voir que les anciens élèves tiennent à lui rendre un dernier hommage.

Bon vivant, appréciant la bonne chère et les bons vins (il est, avec Michel Perret, un des éditeurs scientifiques du livre « Cuisines d’Orient », paru en 1995), Michel Aufray, dont les qualités et les compétences scientifiques n’étaient plus à prouver depuis longtemps, savait aussi parfois se moquer de lui-même, avec un humour parfois dévastateur : ne déclarait-il pas, après qu’il eût succédé à son maître, Jacqueline de La Fontinelle, au poste de professeur qu’il occupait lors de son décès, qu’après avoir été « maître de circonférence », il se trouvait désormais « bien en chaire » ? Son esprit se reflète tout entier dans ces deux bons mots.

Michel Aufray avait avant tout une passion pour l’enseignement. Il se dépensait sans compter, assurant d’ailleurs bien plus d’heures de cours qu’il ne l’aurait dû. Ses qualités de pédagogue, qu’il prodiguait dans des matières allant de l’ethnologie à la linguistique océanienne en passant par le bislama, attiraient en foule les étudiants dans ses classes. C’est ainsi par exemple que son initiation à la linguistique faisait salle comble et rassemblait des étudiants venus de toutes les langues de l’Institut national des langues et civilisations orientales, lesquels n’hésitaient pas à parcourir tout Paris et même la banlieue pour l’entendre.

Comme bon nombre d’entre nous, le parcours universitaire de Michel Aufray a été atypique. Il s’était d’abord passionné, tout en suivant des cours d’Histoire, pour les langues et les cultures scandinaves : suédois, norvégien et islandais n’avaient pas de secret pour lui, et il savait encore, plus de trente ans après, réciter par cœur des sagas islandaises. Sa culture était immense, les littératures française et allemande l’accompagnaient depuis son adolescence ; cet éclectisme originel n’est sans doute pas pour rien dans la carrière qu’il a faite, après être passé par l’INALCO, en Océanie puis dans notre institut.

C’est en découvrant les langues et les cultures océaniennes ainsi que la linguistique que Michel Aufray a vraiment trouvé sa voie. Remarqué par André-Georges Haudricourt dont il fut pendant des années le secrétaire scientifique, il fut envoyé au Vanuatu pour y étudier la langue d’Aneityum, sujet de sa thèse de troisième cycle. C’est à cette occasion que, gourmand de langues, il apprit également le bislama qu’il devait par la suite faire entrer dans la longue liste des idiomes enseignés à l’INALCO. Ce premier contact avec les peuples de Mélanésie le conforta dans sa passion pour la région et sa culture.

Avant, et même pendant, ce qu’il est convenu d’appeler « les événements » de Nouvelle Calédonie, il travailla au Centre culturel kanak de Nouméa où sa connaissance des langues comme son intérêt pour les hommes qui les parlent firent parfois de lui un mouton noir aux yeux de la communauté d’origine métropolitaine. C’est néanmoins cette proximité culturelle et affective avec le peuple kanak qui ont fait de Michel Aufray, comme avant lui Maurice Leenardt et Jacqueline de La Fontinelle, la référence scientifique sur la Nouvelle-Calédonie, tant en France que sur le Territoire.

Sa thèse d’État, soutenue voici six ans, et qui lui a valu d’être très vite nommé professeur, intitulée « le Rat et le Poulpe », est une étude magistrale des mythes et légendes (il n’aurait pas aimé que j’emploie ces mots) de fondation des communautés tant polynésiennes que mélanésiennes dans les îles que les navigateurs découvraient au cours de leurs périples maritimes : elle couvre le Pacifique tout entier, du Vanuatu à l’Ile de Pâques et passant par les Samoa, Fidji et Hawaii. C’est donc à juste titre que ce travail est aujourd’hui unanimement considéré comme une référence incontournable.

L’érudition de Michel Aufray, ses vastes connaissances scientifiques dans le domaine sur lequel il travaillait ne l’ont pas empêché de se vouer également à la direction des travaux de recherche de nombreux étudiants, tant métropolitains que calédoniens : son décès les a laissés dans le désarroi, et il convient ici de saluer tous ses amis et collègues qui ont accepté de poursuivre la direction de ces doctorants. Il était aussi, bien entendu, le pilier de la collaboration scientifique entre l’INALCO et l’Université de la Nouvelle Calédonie, où il se rendait, deux fois l’an, pour assurer des cours.

La perte, on le conçoit aisément, est inestimable, tant du point de vue humain que scientifique. Michel Aufray fourmillait de projets qu’il n’aura pas eu l’occasion de mener à terme mais que ses notes comme les données qu’il conservait dans son ordinateur permettent de mesurer. Tous ses amis, collègues et étudiants souhaitent bien entendu que cet œuvre inachevé puisse être poursuivi : nous préparons donc le projet d’une association qui aurait pour but de porter à la connaissance de la communauté scientifique les travaux qu’il avait entrepris. Ce sera notre façon de lui rendre un ultime hommage.

Gilles Delouche