Extrait du bulletin Orients de février 2009 :
Jean-Paul Réau
24 août 1941 – 9 novembre 2008
Ministre plénipotentiaire (e.r.)
Ancien Ambassadeur
Chevalier de la Légion d’Honneur
Chevalier de l’Ordre national du Mérite
Grand Croix de l’Ordre du Mérite diplomatique de la République de Corée
Jean-Paul Réau était mon collègue. Il était aussi mon ami. C'est à ces deux titres que je voudrais évoquer sa mémoire.
D'abord l'ami. L'ami de 48 ans qu'il a été pour tous ceux, ici présents, qui ont fréquenté l'École des Langues Orientales au début des années soixante. Lequel d'entre nous a oublié le Jean-Paul de la « Corpo » (la corporation des élèves des Langues'O) ou celui de la Fanfare, ce battant qui accueillait les nouveaux entre deux distributions de tracts et les séduisait tour à tour par son dynamisme, son air sérieux, sa pugnacité ou le charme de son intelligence ?
Menant de front étude du chinois et du malais-indonésien, études juridiques et littéraires, activité associatives, il était un brillant élève mais aussi bon camarade pour ceux qui, à son instar, venaient de province et se trouvaient quelque peu désorientés dans la capitale.
Fidèle en amitié, Jean-Paul est resté en contact, tout au long de sa vie, avec ses « copains » des Langues'O, dont j'ai l'honneur de faire partie. Il avait, ces derniers mois, revu nombre d'entre eux. À l'évidence, ces liens anciens étaient pour lui essentiels. Ils l'auront aidé à quitter ce monde dans la sérénité.
Le collègue, lui, est apparu quelques années plus tard, en 1970, lorsque nous nous sommes retrouvés aux Affaires étrangères, issus du même concours de Secrétaire d'Orient. Naturellement, Jean-Paul fut le premier. Aussitôt, nos destins se séparèrent de nouveau, carrière oblige. Pendant que j'étais envoyé à Ankara, Jean-Paul partait pour Pékin avant de servir à Londres, Washington et encore Pékin.
Rencontres épisodiques mises à part, ce n'est qu'en 1987 qu'eurent lieu nos grandes retrouvailles, à l'Inspection des Affaires étrangères. C'est là que, pendant 5 ans, j'ai vraiment pu mesurer les qualités professionnelles de Jean-Paul : sa rapidité, son organisation méthodique, sa plume élégante, mais aussi la sûreté de son jugement, son opiniâtreté à défendre ses convictions et son refus de complaisance. Sans en faire étalage, il savait reconnaître les mérites d'autrui et il n'hésitait pas à intervenir en faveur des faibles lorsque ceux-ci lui paraissaient injustement traités.
Ces qualités et sa connaissance du terrain lui ont valu d'accéder ensuite à d'importants postes de responsabilité en Asie : d'abord Directeur de l'Institut français de Taïwan, puis Ambassadeur de France en Corée et, en dernier lieu, Ambassadeur à Singapour.
Se sachant condamné depuis le 18 septembre 2007, Jean-Paul s'est montré d'un courage sans faille face à l'adversité. Il aura su, jusqu'à son dernier souffle, profiter d'une vie qu'il aimait et qui le quittait. Cultivé, lecteur insatiable, amateur de cinéma et d'expositions, il a utilisé tous les répits que lui accordait son état pour vaquer à ses occupations comme si de rien n'était. Il y a un peu plus d'un an, m'annonçant sa maladie à la fin d'un déjeuner intime, il me dit : "C'est un peu tôt pour mourir, mais finalement, j'aurai eu une vie intéressante et bien remplie". Il nous a quittés dans la dignité.
Dans ces moments douloureux, mes pensées vont vers son épouse, Hsiu Huei, qui l'a accompagné avec dévouement, mais aussi, bien sûr, vers ses enfants, sa sœur et tous ceux auxquels il était attaché.
Bernard Poncet
Ancien Ambassadeur
Ancien élève de russe
Adieu prononcé à la cérémonie des obsèques
14 novembre 2008
C'est avec une profonde tristesse que je présente aujourd'hui, au nom du peuple et du gouvernement de Taïwan, mais aussi en mon nom personnel, des remerciements sincères et infinis au doyen et grand ami de Taïwan, M. l'Ambassadeur Jean-Paul Réau.
Selon une expression utilisée dans mon pays, Jean-Paul était un « gendre de Taïwan » puisqu'il avait épousé une Taïwanaise et cette formule marque bien, selon moi, son attachement à Taïwan.
Malgré le statut particulier des liens entre la France et Taïwan depuis 1964, des relations substantielles entre nos deux pays n'ont, en fait, jamais cessé de se développer. Lors de mon premier séjour en France dans les années 80, les liens entre Paris et Taipei n'étaient pas comparables à ceux que nous voyons aujourd'hui. Pourtant, dès mon deuxième séjour ici, en 1991, une compréhension mutuelle plus forte a contribué à l'établissement de meilleures relations entre nos deux peuples, ce qui a abouti à la mise en place de projets d'infrastructure d'importance : construction d'une ligne TGV, 4e centrale nucléaire, acquisition d'Airbus et les fameux dossiers d'équipements de défense nationale.
Bien évidemment, la présence à Taïwan de M. Réau, à cette époque, a joué un rôle primordial. Lors de ses services diplomatiques dans mon pays, de 1993 à 1997, mes compatriotes ont été très impressionnés par sa maîtrise de la langue chinoise et son omniprésence dans le pays. Dans ses fonctions, Jean-Paul a toujours représenté la France avec fierté et panache lors des événements officiels et lors de ses déplacements dans les différentes régions de Taïwan.
Les quatre années et cinq mois de service de M. Réau ont permis un nouvel essor des relations entre nos deux pays. Pendant cette période, près d'une centaine d'entreprises françaises se sont installées à Taïwan, considéré comme une plaque tournante du marché de l'Asie Pacifique. Ces relations se sont aussi caractérisées par le bon fonctionnement de l'école française à Taïwan, les visites fréquentes de personnalités entre nos deux pays, sans compter les diverses manifestations culturelles, l'augmentation du nombre d'étudiants taïwanais en France et la promotion de l'art de vivre à la française.
Les années 90 ont été marquées par le développement de la démocratie à Taïwan qui a, alors, rompu avec la pratique des parlementaires nommés à vie et les tabous politiques, pour se transformer en une société pluraliste dans laquelle la conscience politique et la liberté d'expression font partie de la vie quotidienne.
Jean-Paul, en tant que digne représentant du grand pays pionnier de la démocratie, a souvent été invité à prendre la parole et faire des discours sur ce sujet. Sans nul doute, il était foncièrement attaché à promouvoir auprès du peuple taïwanais les valeurs universelles défendues par la France : liberté, démocratie et respect des droits de l'Homme. Grâce à Jean-Paul, mes compatriotes se sont aussi familiarisés avec les beaux-arts, la culture, la haute technologie, la médecine, la gastronomie, l'art de vivre français. Oui, c'est ainsi que M. Réau a joué un rôle incontestable dans l'ouverture et la démocratisation de Taïwan, par son soutien à la liberté, à la démocratie et à l'indépendance de ses institutions.
Jean-Paul, doyen, ambassadeur et grand ami de Taiwan est et restera toujours avec nous et nous lui sommes infiniment reconnaissants de tout ce qu'il a fait pour notre pays !
Michel Ching-Long Lu
Représentant de Taïwan – Bureau de Représentation de Taipei en France
Hommage prononcé à la cérémonie des obsèques
14 novembre 2008
Les anciens auront reconnu Jean-Paul sous le nom de Duault, dans les souvenirs de Chine publiés dans le précédent et le présent numéro d'Orients, alors même que Jean-Paul se mourait à l'hôpital. Il avait le bulletin à son chevet et prenait plaisir à le lire. Aussi bien ce séjour en Chine, que nous ne nous lassions pas d'évoquer, aurait une influence décisive sur sa carrière, ses liens, sa vie... Mais d'abord son attachement à l'école, chinois et malais, indiquait l'attrait du large, plutôt que la robe à laquelle menaient ses études de droit.
Sa famille produisait un cognac réputé. Entre le cognac et la diplomatie, lui disais-je, je n'eusse pas hésité ! Justement, il portait en lui à la fois de Charente le charme, la délicatesse quasi créole, et en même temps cette haute tradition du parlement de Guyenne, des Montesquieu, Montaigne, La Boétie. Le dégoût de la tyrannie n'est ni de droite ni de gauche ; héritier d'une droite française bien élevée, Réau savait qu'on ne se couche pas, que la fermeté paie, que le sens de l'État l'exige. De même, sa dignité devant la maladie, son courage furent dignes de l'Antique.
J'abrège, Bernard Poncet a tout dit, avec la clarté du rédacteur de dépêches et la tendresse de l'ami. Quelques fragments encore d'un petit récit de mai 68 :
"L'agitation n'avait pas tardé à gagner l'École... Traditionnellement tenue par une corpo de droite tempérée par le folklore... Autour de la statue de Sylvestre de Sacy, impavide, la petite cour bourdonnait... Un comité provisoire... Tout cela n'allait sans prises de parole où excellaient Jean-Paul Réau, à la bouche d'or, fin stratège et Maurin, élève d'amharique... Tandis que l'école frémissait, que Réau, Maurin et consorts jouaient les premiers rôles,... tout allait pour le mieux dans la meilleure des contestations possibles"
Il terminait souvent ses lettres par Semper fidele.
À sa sœur Marie-Françoise, à sa première épouse Gaëlle, notre condisciple, et leurs enfants, à sa seconde femme Hsiu Huei, à l'ami fidèle, semper fidele.
Boris Goiremberg
Ancien élève de chinois
Je rencontrai Jean-Paul la première fois dans les couloirs de « l’École », responsable de la « Corpo », il organisait la fête annuelle sur une croisière en bateau-mouche... J’ai eu, depuis, maintes occasions de faire la même sortie avec diverses délégations chinoises mais sans jamais oublier cette extraordinaire première fois.
Une trentaine d’années plus tard nos chemins se croisent à nouveau : il est nommé Directeur de l’Institut Français à Taipei. L’administration a décidé de donner un nouvel élan aux échanges entre Paris et Taipei et l’en a chargé. Capitalisant adroitement sur le legs de ses prédécesseurs, il se met au service d’une colonie française débordante d’énergie et ravie de pouvoir la libérer. Nouveaux bureaux pour l’Institut, création d’une section des Conseillers du Commerce Extérieur de la France, redéploiement de l’école française dans un vaste complexe européen, échange de délégations du plus haut niveau – je pense à la visite du prix Nobel Georges Charpak entre autres…
La réussite la plus publicisée reste pour moi l’ouverture de la ligne « Air France Asie » Paris-Taipei-Nouméa à laquelle je fus associé. Je garde de cette période un sentiment de grande complicité avec un chef de file discret et efficace, navigant au plus prés au sein du monde chinois, dans un contexte où les marges de manœuvre étaient très minces.
Mon ami Jean-Paul, à te revoir un jour dans la Cité des Saules.
André Leys
Ancien élève de chinois 1963 - 1966
Délégué Groupe Air France à Taipei 1992 – 1998
Au début d'août, l'an dernier, en 2007, Jean-Paul Réau m'a
envoyé par courrier électronique la couverture de la version anglaise du volume
consacré à l'histoire de l'École française d'Extrême-Orient, A Century in
Asia, qui venait de sortir, avec ce message elliptique:
"Ce fut le dernier acte administratif de ma carrière : la signature pour la subvention ! Amitiés. JP".
Le symbole, le ton humoristique et léger sous lequel il voilait à la fois l'énergie persévérante qu'il lui avait sans doute fallu pour trouver les crédits d'une publication en anglais, et la fierté de voir abouti un bon projet où pourtant son nom ne figurait pas, c'était vraiment la quintessence de Jean-Paul. Comme toujours, sa verve m'a fait rire et je l'ai félicité aussitôt, sans imaginer un instant que ce plaisir revigorant d'une longue amitié devait bientôt s'éteindre.
C'est à l'aéroport du Bourget, à la fin d'août 1964, que j'ai fait la connaissance de Jean-Paul. Quittant nos familles émues, nous faisions partie de l'escouade de quatorze « experts » destinés à enseigner le français que l'ambassade de Chine, tout récemment ouverte, expédiait alors à Pékin sous l'escorte d'un de ses secrétaires. La plupart des membres du groupe, élèves de première ou deuxième année de chinois aux Langues'O, recrutés par l'intermédiaire de leur professeur, M. Li Tche-hoa, se connaissaient entre eux. Le lien s'établit très vite avec ceux venus comme moi par d'autres filières. Jean-Paul, doué d'un merveilleux sens social et déjà rompu à animer et rassembler des tempéraments divers grâce à son activité à la Corpo, s'y employa aussitôt. Les Chinois nous convoyaient par la route du Sud, bien plus longue et coûteuse, pour éviter d'avoir à demander des visas de transit aux Soviétiques avec lesquels leurs rapports étaient exécrables. Pour nous, ce fut une aubaine. À l'escale d'Athènes, la caravelle d'Air France s'était passablement vidée. Après Téhéran, nous restions les seuls passagers. Jean-Paul n'avait pas perdu son temps. À peine avions-nous décollé vers Karachi que les hôtesses nous servaient le champagne à flots pour fêter son anniversaire! Il avait vingt-trois ans. Désormais le groupe était joyeusement soudé et affrontait bientôt l'émerveillement d'une longue escale imprévue au Cambodge, vite employée à visiter Angkor, puis les surprises de la Chine.
Ainsi qu'à chacun de nous, ce premier séjour dans une Chine si différente de notre courte expérience de jeunes étudiants français plutôt gâtés, si éloignée aussi de ce que disaient les livres ou les oracles, a laissé à Jean-Paul des empreintes profondes : le sens du monde réel, la mesure de lui-même, un réseau d'amitiés solides. Sous des dehors hédonistes, le raffinement d'un esthète affectant volontiers un peu de nonchalance, Jean-Paul avait une intelligence prompte à saisir l'essentiel, toujours en éveil, un esprit incisif. Chez les marchands de Liulichang, il aimait les bambous et les calligraphies. Il avait été le premier d'entre nous à dénicher à Dashala une superbe toque de fourrure fauve, lorsque survint le froid glacial, et, pour les grands moments, il partageait généreusement avec ses camarades le fabuleux cognac familial envoyé par sa mère. Sa culture littéraire, vaste et très variée, lui inspirait des rapprochements saisissants sur des personnages croisés au hasard des ruelles et échoppes, devant un paysage dessiné par la lumière crue des hivers pékinois de l'époque. Les étudiantes qu'il instruisait à l'Institut des Langues étrangères n'ont pas oublié ce jeune professeur qui, dans les interstices des textes de propagande qu'il fallait enseigner, arrivait à glisser l’humour et à insuffler le goût de la langue et de la poésie. Vingt ans plus tard, l'une d'elles le reconnut lors d'une visite qu'il effectuait dans une ville chinoise de province et lui confia avec émotion le souvenir qu'elle et ses camarades gardaient de cette irruption d'un esprit libre dans l'univers de conventions qui les entouraient.
Mais, contrairement à la plupart d'entre nous, Jean-Paul décida de ne rester qu'une année à Pékin. Son attachement à la Chine s'était fortifié. Il aimait ses foules ordinaires. Il jouissait des choses simples de sa vie quotidienne, comme des raffinements de ses arts. Il était toujours curieux d'explorer l'inconnu ou l'insolite. Il refusait cependant de se laisser engloutir dans la ‘sinomanie’. C'est en perspective avec le reste du monde et les autres régions d'Asie orientale qui l'intéressaient également qu'il souhaitait poursuivre son dialogue chinois. Avec une idée très claire de son but et une volonté très ferme de réussir, il regagna Paris pour terminer son droit, son diplôme de chinois et son diplôme de malais. Comme il prit quand même le chemin des écoliers pour rentrer en France, par la Thaïlande, la Malaisie et quelques autres pays, il m'avait demandé d'aller voir sa mère pour la rassurer, parce que je revenais quelques semaines à Paris bien avant lui. Jean-Paul était très proche de sa mère et de sa sœur, qui l'adoraient. Elles avaient tout fait pour qu'il reçoive la meilleure éducation et développe ses talents. Sa mère était une femme charmante, pleine de finesse et d'intelligence. Elle m'invita chez elle à Nogent-sur-Marne, sans se lasser de questions. À vrai dire, elle savait déjà tout sur la vie à Pékin, mais s'inquiétait de la santé de son fils. Jean-Paul était sujet périodiquement à des sortes de crises d'épuisement qui le tenaient plusieurs jours anéanti par une fatigue inexpliquée.
De retour à Paris, il se couvrit de diplômes, épousa bientôt Gaëlle o'Scanlan, une brillante arabisante, rayonnante de gentillesse et de gaieté, qui le soutint énergiquement pour affronter le concours d'Orient et commencer sa carrière au quai d'Orsay, d'un continent à l'autre. Je les revois transportant leur fils Anne-François dans un couffin en haut des escaliers afin de ne pas manquer des retrouvailles avec les amis de Pékin. Puis vint l'installation à Londres. Jean-Paul avait la charge de dossiers politiques importants qui le passionnaient, mais il trouvait le temps de suivre l'avant-garde de la vie culturelle. Les années s'écoulèrent, avec des relations épistolaires au gré de ses pérégrinations. En décembre 1986, je revis Gaëlle et Jean-Paul à Pékin. Diana Lary, une sinologue anglaise, qui avait fraternellement partagé avec notre groupe français la découverte de la Chine de 1964, y était en poste aussi. Dans une ville écartelée par des changements anarchiques, nous regardions disparaître les repères familiers de nos vertes années, en refusant de céder à la nostalgie des anciens combattants. En novembre 1994, Jean-Paul officiait à Taipei, où il avait donné une forte impulsion au développement du poste, à la suite de notre ami Marc Menguy. Là, je le retrouvai heureux de la compagnie de ses filles, Delphine, prénommée comme notre amie Delphine Weulersse, et Agnès. Ses enfants comptaient beaucoup pour lui. Il souhaitait leur ouvrir les horizons multiples de ses itinéraires diplomatiques sans qu'ils souffrent de leurs tourbillons. À Taiwan, outre les questions politiques, sa prédilection, il avait su s'introduire avec son aisance coutumière dans les milieux d'affaires, gagner l'estime et la confiance. La culture, les arts et les sciences n'avaient pas de secret pour lui. Il se plaisait à jouer sur plusieurs registres et à déceler les meilleures combinatoires, avec toujours sa pointe d'humour, demeurant modeste dans le succès. Trois ans plus tard, en novembre 1997, il m'accueillit à Séoul avec sa seconde femme, Hsiu-huei, ambassadrice élégante, amie des arts et impeccable maîtresse de maison. La Corée lui offrait un nouvel espace pour déployer son savoir-faire et ses talents. Il déplorait que trop peu d'orientalistes français s'intéressent à la Corée contemporaine et milita en ce sens, non sans résultats. Son dernier poste, à Singapour, où je lui rendis visite en juin 2004, fut celui où il eut le sentiment de pouvoir donner sa pleine mesure. Les services qu'il dirigeait étaient importants, l'activité intense et très variée, croisant sans cesse le régional et l'international. Il savourait l'incroyable creuset de cultures de la cité-État, le jogging matinal au Jardin botanique avec Hsiu-huei, le charme colonial de sa résidence. Il appréciait surtout de mettre au service de son pays et de ses compatriotes de toutes conditions les connaissances, la réflexion, le réseau de relations et l'habileté du négociateur que des rives de l'Atlantique à celles du Pacifique il s'était attaché à maîtriser et parfaire depuis son plus jeune âge. Il aimait son métier, qui était pour lui une vocation, mais sur laquelle il ne manquait pas de garder une distance critique.
Jean-Paul était un merveilleux paradoxe alliant une ténacité de fer, dont sa fidélité en amitié est l'un des témoignages, et une agilité d'esprit infiniment subtile, légère, presque dilettante, qui était le signe d'une profonde tolérance et bienveillance envers autrui. Son siècle en Asie s'est achevé trop vite, mais il est de ceux qui ont su renouveler l'image de la France dans ces régions et aider ses compatriotes à coopérer avec elles. Pour ses amis, il reste toujours présent, prêt à explorer une idée, à évoquer un peintre, un musicien, une lecture, à réjouir chacun par sa générosité délicate et son humour.
Marianne Bastid-Bruguiere
Membre de l'Institut
Directeur de Recherche au CNRS