In memoriam : Michel Aufray

lire également l'hommage de Gilles Delouche

Michel Aufray, professeur des langues d’Océanie à l’INALCO, spécialiste de linguistique comparative austronésienne et des langues du Pacifiques, ainsi que des cultures orales, est décédé tragiquement le 22 août dernier dans un accident de la route alors qu’il rentrait de vacances en compagnie de Michel Perret, l’ancien président de notre association lui-même grièvement blessé.

Né à Mamers dans la Sarthe en 1949, Michel Aufray était un personnage marquant dans la vie des Langues Orientales, où il avait étudié avant d’y devenir chargé de cours puis d’occuper un emploi d’enseignant-chercheur à partir de 1984. Il avait été membre de nombreuses instances, conseils et commissions, de notre établissement (directeur du département Asie du Sud-Est, Haute-Asie, Pacifique ; membre du Conseil scientifique et de la Commission de la Recherche; membre de la Commission des spécialistes) et il siégeait au conseil d’administration de l’Association des Anciens élèves.

Au delà de ses activités de professeur, il jouait un rôle important dans la participation de l’INALCO à la mise en œuvre des accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie. Il était connu et apprécié sur le territoire pour son travail sur l’expression kanak.

Son cours de linguistique (dans le cadre de la licence TAL) attiraient des étudiants de diverses sections de toutes implantations de l’INALCO ; il apparaissait « comme un enseignant phénoménal, passionné et drôle. On allait toujours avec le sourire à son cours ».

« Si les langues vernaculaires sont enseignées, aujourd’hui en Calédonie (…), c’est grâce au travail de Michel, qui a secondé puis continué le mien. » Le compliment vient de Jacqueline de La Fontinelle, qui a elle-même pris la succession scientifique des Leenhardt, père et fils, Maurice et Raymond. C’est dire l’importance des travaux de Michel Aufray.

Depuis plus de vingt-cinq ans, il voyageait régulièrement entre Paris et Nouméa, où une première mission l’avait conduit en 1982, en tant que responsable scientifique de l’institut culturel mélanésien. Et cela fut tout sauf un hasard. La petite histoire raconte qu’il était étudiant en langues scandinaves (norvégien, suédois, islandais) quand il s’inscrivit, à 21 ans, en cours d’ajië, la langue de Houaïlou. À l’époque, il n’avait pas la moindre idée du lieu où se parlait cette langue. Le jeune étudiant voulait simplement relever un défi que lui avaient lancé des camarades.

Ce coup de tête se muera vite en passion pour l’ajië et les langues océaniennes puisqu’il passa un diplôme bilingue de langues océaniennes (houaïlou – tahitien) puis un troisième cycle en linguistique générale. Et cette passion l’amena, après dix ans comme technicien au CNRS puis la responsabilité scientifique de l’Institut culturel mélanésien et de directeur scientifique de l’Office culturel, scientifique et technique canaque (1982-1984); à devenir finalement professeur des universités à l’INALCO de linguistique et littérature du Pacifique. Depuis l’ouverture d’une filière de langues et cultures régionales à l’université de Nouvelle-Calédonie, en 1999, il assurait des missions de formation deux fois par an. Il était très apprécié de ses collègues et des étudiants en langues kanak, dont il encadrait systématiquement les mémoires et les thèses.

Son œuvre, publiée seulement en partie, est consacrée aux langues et littératures orales du Pacifique :

  • Enquêtes de terrain en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans l’archipel du Vanuatu, sur les îles Anatom, Espiritu Santo et Maewo;
  • Phonologie et description grammaticale de l’anecom (Archipel du Vanuatu), thèse de 3e cycle, non publiée, 1981;
  • Lexique zoologique et botanique anecom-français, Paris, INALCP, 1987, (multigraphié);
  • La ceinture de pourpre, émergence de l’épopée polynésienne, in Cahiers de Littérature orale, 32, 1993;
  • Le corps de la parole: une nouvelle approche linguistique, in Mwâ Véé, 6, 1994, Nouméa; (avec J. de La Fontinelle);
  • La comparaison dans les langues d’Océanie: rupture, rapprochement, éloignement, in Faits de langues, 5, 1995; (avec J. de La Fontinelle, J. Lynch, P. Tepahae);
  • Anejom Dictionary, Pacific Linguistics, The Australian National University, Canberra;
  • Les littératures océaniennes : approche syntaxique et stylistique , thèse d’État (2000), directrice de recherche : Madame de La FONTINELLE, Membre du Jury : G. CALAME-GRIAULE, R. KABORE, B. JUILLERAT, G. CHARACHIDZE disponible à l'ANRT (Référence : 00PA030143 );
  • Notes sur les messages végétaux en Océanie, JSO 114-115, 2002.
  • Dans le cadre de la célébration du bicentenaire des Langues orientales, il avait assuré avec Michel Perret la direction de l’ouvrage collectif Cuisines d’Orient et d’ailleurs, Grenoble, Éd. Glénat, 1995.


    Témoignages

    Témoignage de Pierre Guinot extrait du blog de Dominique Autié

    La vie de Michel Aufray se déroulait tantôt sur des îles perdues où il recueillait, comparait, sauvait des traditions orales; tantôt dans un appartement de bibliophile, d’herboriste, de hanteur de brocante où l’incunable voisinait avec le kitsch. Le genre de gars avec qui tout risque d’arriver à tout moment. Vivant antidote à toute arrière-pensée louche. Mousquetaire gros. D’Artagnan putto. Infinie délicatesse et invective toute prête. Musique de foire et Alfred Deller. Mais c’est assez d’oxymores.

    Non, ce n’est jamais assez : le baroque, c’est ou le vide, ou l’ajout.

    Cas d’école donc pour les thèmes aujourd’hui entrelacés : érudition, baroque, bien-pensance, savoir et supports, vanités.


    Témoignage de Mathieu F.

    J'appris la nouvelle de la disparition de monsieur Aufray la veille au soir d'un examen important de linguistique : la nouvelle me terrassa.

    Seule l'idée de notre université orpheline d'un de ces plus précieux porteurs du flambeau de la transmission du savoir me hantait l'esprit.  "Quelle perte, quelle perte de connaissances, quelle perte humaine", cette phrase défilait en boucle dans ma tête où tous les souvenirs d'une année de cours d'initiation à la linguistique se bousculaient... Le souvenir de son premier cours où je me demandais où j'avais atterri : j'étais un étudiant sérieux, prêt comme à mon habitude à ingurgiter ma dose de connaissances et j'y avais découvert un professeur ponctuant son cours de blagues et d'anecdotes toujours appropriées au sujet. J'étais sorti du cours perplexe en me demandant si je n'allais pas plutôt suivre un autre cours. Et puis, dès le lendemain, monta un léger sentiment de manque, sentiment qui s'amplifia en relisant le cours de la veille. C'est ainsi que naquit cette fameuse attente du mercredi pour savourer le cours de monsieur Aufray car, avec lui, jamais on n'entrait dans le cycle de l'étudiant "s'asseoir en cours, ingurgiter des connaissances, partir vers un autre cours". Avec lui, on savourait la linguistique, on se délectait de ses nombreuses touches d'humour et de ses précieuses anecdotes : certaines savamment préparées et d'autres improvisées avec talent. Monsieur Aufray était de ces professeurs qu'on n'oublie pas, qui nous marquent à jamais : il avait cette incroyable capacité à nous transmettre sa passion en nous répétant "ce n'est qu'une initiation à la linguistique ici, je suis simplement là pour vous montrer les différents domaines qui existent, pour vous transmettre le virus de la linguistique". J'avais gravé en moi l'image d'un homme aimant la vie et voulant tout faire pour que ses semblables l'entourant l'aime tout autant.  J'obtins finalement mon examen et acquis ainsi le droit de poursuivre mes études en linguistique informatique et, désormais, chaque fois que lors d'un cours, est évoqué un thème dont monsieur Aufray m'avait parlé, je pense à lui et le remercie pour tout ce qu'il m'a donné. Grâce à lui, je suis habité par ce virus de la linguistique.  

    En écrivant ces mots me revient le souvenir d'un printemps à admirer son incroyable capacité à nous produire un-à-un, pendant deux heures, tous les sons que l'être humain peut réaliser : toute personne ayant vécu ses incroyables moments à l'écouter chanter avec joie des "aba, ada, atha" ne peut oublier un tel homme. Je me souviens également qu'il nous répétait avec envie après ces efforts vocaux "Il faudrait m'offrir une bière". L'idée m'effleura mais je n'osai pas franchir le pas... Dorénavant, telle la madeleine de Proust, une pensée émue en son hommage m'envahit lorsque j'en déguste une, et je le remercie alors chaleureusement pour tout ce qu'il m'a transmis.


    Témoignage sur le forum des associations étudiantes

    A la fin de la Journée Culturelle de l'INALCO de mai 2004 (première fois que l'événement se déroulait au 2 rue de Lille), l'ancien Président de l'INALCO M. Gilles Delouche a offert un cocktail aux étudiants organisateurs et participants.

    A cette occasion Michel Aufray surtout et Gilles Delouche ont entonné des refrains tels que l'hymne de l'Inalco ou bien d'autres chansons sur un registre plus léger mais toujours en relation avec Langues O'. Il faisait beau, on avait tous un peu bu et on a passé un excellent moment.

    J'avais déjà croisé Michel Aufray mais je ne savais pas qui il était. Je dois dire que cette expérience m'a fait apprécier le personnage et que j'en garde un très bon souvenir.


    (les sources de ce document sont diverses : souvenirs personnels des rédacteurs, Journal « les Nouvelles Calédoniennes » (avec son autorisation), site Internet de la Section de langues océaniennes de l’INALCO, forum interassociatif des étudiants de l’INALCO)